dimanche 7 février 2010

Sicile-Palestine (discussion avec Patrick Galais, février 2010)

Ingrid Bergman dans Stromboli (1950), film de Roberto Rossellini



Quelques courriels échangés avec Patrick Galais. L'un de ces dialogues que j'aime, comme lui et d’autres amis, développer avant ou après un voyage :


« Patrick,

on m'a parfois reproché avec Foto Povera de me limiter à une typologie d'appareils self-made ou cheap... Non, il ne s'agit pas de cela [même si je sais que cela relève d'une inquiétude légitime], ... mais parfois, le boîtier est très important c'est vrai pour les auteurs... aussi cheap soit-il ; difficile à expliquer, moi c'est plutôt les box que je préfère ; j'essaie d'en trouver une qui marche avant de partir dans quelques mois en Sicile... »


« C'est vrai que les boîtiers sont des associés, des outils de transmission, de rayonnement, avec un rayon d'action bien défini, entre le photographe, le sujet, et le lecteur futur des images produites.

Pour la série "Construire" en Palestine, j'avais commencé à travailler au Rolleiflex. Mais cette machine à capter, cette douce vision en "L" me coupait trop du sujet.

J'avais besoin d'une posture physique plus frontale, plus "tendue", plus "la tête en avant", plus parallèle au sol.

D'où l'achat d'occase d'un vieux 6x7 Pentax avec viseur horizontal et d'un 75 mm. Un boîtier rassurant aussi par sa robustesse, précis, avec son miroir bruyant et vibrant.

Un objet assez violent, avec sa crosse en bois, qui a parfois répondu aux violences de l'occupation, celles-là même infligées aux palestiniens. Mais ce ne furent pas les meilleures images, loin de là, c'était juste une réponse d'autodéfense. Le simple fait qu'il soit là, inerte dans mon sac, me protégeait aussi, et me rappelait "ce que j'avais à faire" ici.

La jouissance perçue parfois aussi, et qui nous traverse des pieds à la tête lors du déclenchement, est toujours trompeuse, elle n'annonce jamais une bonne image.

Cette jouissance vient simplement de notre passé de photographe, elle nous rassure par rapport aux images que nous avons faites, et par rapport à celles que nous savons faire... Cette jouissance est donc un leurre, une bête autosatisfaction, voire d'auto-fascination, sans aucun rapport avec les images que "nous avons à faire". Et les images que "nous avons à faire", nous n'en savons rien à l'avance... C'est ça qui est bien non?

Bonne journée Yannick. »


« Outre la box dont j'ai parlé, mon Holga, j'ai moi aussi envie d'utiliser à nouveau un boîtier moyen format en mai prochain en Sicile, pour des raisons qui me semblent en partie proches des tiennes... mais en ce qui me concerne la « violence » renvoie plutôt la rudesse de la terre, la présence menaçante des volcans qui m'impressionne (J'ai en tête d'inoubliables images du film
Stromboli de Rossellini, qui date de 1950, revu plusieurs fois ces derniers mois). Oui, "ces images que nous avons à faire, nous n'en savons rien à l'avance..." Pour ma part je n'ai que des envies de voyage, de destinations, l'envie d'utiliser certains boîtiers, juste des intuitions et des attirances aussi fortes que vagues, rien de prédéfini vraiment...

Bonne journée,

Yannick »


« Hello Yannick,

Oui nous n'en savons rien de ces images à faire... Mais comme Catherine Merdy, j'ai envie de revenir au portrait, au corps, à la peau, à l'autre, mais de manière plus proche que par le bâtiment, ou en tout cas, moins détournée. C'est fondamental le portrait je crois...

A bientôt.

Patrick »

mardi 2 février 2010

Art Brut & Foto Povera

© Photo Yannick Vigouroux,
« Paris, 31 janvier 2010 » (Cameraphone)





Après l'averse, face à ces mouvements accidentels qui animaient si naturellement le bitume, j'ai vraiment eu l'impression de me pencher sur des réminiscences (voire, pour l'une des images, une résurgence) d'Art Brut.

J'avais froid. Et puis cette sensation désagréable de sentir le chien mouillé... Mais j'avais aussi le sentiment que cette odeur, pour une fois ou une fois de plus (avais-je oublié cette expérience ?), acquérait, grâce aux images, ou plus exactement la parfaite correspondance de cette odeur avec elles, une certaine « qualité ».

lundi 1 février 2010

« En longeant les choses » de Patrick Galais




© Photo Patrick Galais, de la série « En longeant les choses, 2004 »



Un autre voyage photographique, non pas en train, mais cette fois à bicyclette, auquel j'avais consacré un texte en 2004. Avec celui de Patrick, en voici un extrait ...


« en longeant les choses -Aout 2004.


Cette route à prendre est bordée d'espaces humains, parfois mutilés, qui nous concernent et nous regardent. Je sais que ce ne sera pas une "enquête" sur le paysage ou les espaces péri-urbains en mutation, et que ces espaces parfois vides, ou à l'abandon temporaire ne sont pas déshumanisés pour autant. Après le reportage et l'ailleurs, l'architecture, le rapport à l'autre dans le portrait, à la présence humaine dans les longs temps de pose du sténopé, je cherche encore, peut-être prétentieusement, mon humanité photographique dans cette humanité là. Les 2400 km accumulés seul à vélo, la tête reliée au pédalier vont faire office de machine à visionner, à laver des images et des pensées nombreuses, joyeuses ou douloureuses. Les images réalisées pendant ces trois semaines m'ont par la suite laissé perplexe quelques temps, sans yeux pour les voir ni voix pour les dire. Je ne les reconnais pas. L'errance a bien fait son effet... Il me faudra comprendre ces images, cette errance. Au delà de cette quête, cet état des choses et des lieux parle d'un monde qui perd parfois de sa compréhension, de sa poésie visible. Un monde qui ne sera plus pareil. Le temps de l'engagement-photographie m'apparait de nouveau... Le paysage était jusqu'alors pour moi l'innocence du regard retrouvée. J'aimerais bien y croire encore, sans m'y attarder.


Patrick Galais, 2004. »



« en longeant les choses


En longeant les choses, un road-movie photographique à la française, accompli avec cette mythique et sympathique bicyclette, à laquelle nous nous identifions tant dans ce pays : du facteur de Jaques Tati au Tour de France, ce moyen de locomotion évoque aussi dans notre mémoire des images lumineuses d'après-midi d'été, la transparence de fragments d'enfance où le paysage défile lentement. Ce voyage en images fixes est par ailleurs référencé à des signes vernaculaires hérités de la photographie et du cinéma américain qui font désormais partie du lexique visuel classique de tout photographe. [...] Faisant semblant de seulement longer les choses et de ne pas entrer dans le vif du sujet, Galais aborde en réalité frontalement, l'air de rien, les questions fondamentales de l'enregistrement du temps et de l'espace en photographie. Avec la sereine désinvolture du flâneur, là ou d'autres consacrent des essais parfois abscons à cette problématique, il préfère se promener à bicyclette dans un temps ralenti et dans l'espace photographique étiré.


Yannick Vigouroux, mars 2005. »


http://www.patrickgalais.com/