vendredi 7 janvier 2011

Autoportraits avec ma Bicyclette : les sténopés de inesdelaisla




© Photo inesdelaisla,
"mi bici, ella más quieta que yo"
(sténopé / pinhole)



Photographier sur, ou à côté de sa bicyclette : quoi de plus banal ? Et pourtant... Les photographies de inesdelaisla évoquent nombres d'images heureuses de promenades bucoliques, mais aussi les photos des premiers congés payés pendant lesquels la Petite Reine fut le moyen privilégié, populaire et économique, de déplacement ; mais aussi de découverte lente du paysage... Les albums de famille en attestent, le vélo allait être souvent supplanté, dès les années 1950, par l'automobile, devant laquelle les propriétaires adoptèrent souvent, désormais, une expression plus grave. Le corps est généralement figé, au garde-à-vous fixe du sérieux qu'exige la situation – même s'il existe de beaux contrexemples – : coûteux, le véhicule n'est pas seulement un symbole de liberté, il est surtout le symbole de de l'ascension sociale de l'individu.

A l'inverse, les images de Willy Ronis partant faire du camping à bicyclette avec ses amis, mais aussi celles de tant de photographes amateurs partant pique-niquer ou en vacances, reflètent une joyeuse décontraction.

La photographe espagnole a décidé de renouer avec ce rituel classique, mais quelque peu oublié à la fois.

Elle réalise ses autoportraits avec des sténopés qu'elle a fabriqué. Ces boîtes rudimentaires, dépourvues d'optiques, simplement percées d'un trou, enregistrent le monde différemment, induisent une relation différente à ce dernier. Une construction plus subjective de Soi et de son rapport à l'espace et aux choses, beaucoup plus relâchée, dédramatisée. Un premier point commun entre la boîte photographique et la machine, qui se traduit aussi formellement par une imbrication, fusion du corps avec les structures métalliques.

Car il s'agit bien littéralement de doubles portraits, d'un duo puisque le véhicule occupe autant de place dans le cadre que la jeune femme. Dans les flous et les distorsions générées par le sténopé, les courbes si graphiques des roues se confondent harmonieusement avec les courbes humaines. Il se dégage beaucoup de sensualité et de douceur de ces moments de pause, dans tous les sens du terme (pause physique du corps, au repos après l'effort, et pause photographique). S'il n'a l'air de rien au premier abord – et c'est là le tour de force, pas d'effet spectaculaire, aucun esthétisme – , le parti pris d'Inès est en réalité des plus audacieux, il renoue avec la radicalité des audaces des avant-gardes photographiques des années 1930.


Yannick Vigouroux



NB : Un autre sténopiste, Patrick Galais (Dans une série intitulée « En longeant les choses » ), a pris lui le parti, avec cette fois un boîtier à peine amélioré, de photographier le paysage en se déplaçant sur son vélo ; il a opté pour la douceur et la lenteur mécanique de cette machine qui devient alors aussi, même titre que le train ou la voiture, mais sur mode, un rythme très différence, une machine de vision...


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