dimanche 5 juillet 2009

« Anti-poussière pas sorcière », un autoportrait-sténopé de Judith Baudinet, par Juliette Meliah

Photo Judith Baudinet,
« Anti-poussière pas sorcière , 2008 »
(Sténopé / Pinhole)




« Anti-poussière pas sorcière », affirme Judith dans son autoportrait nu au balai. Cette dénégation est-elle à prendre au pied de la lettre ? Que sait-on d’elle, à part qu’en ces temps où l’on ne parle plus que de méga pixel, elle persiste à prendre ses photographies à l’aide d’une boîte à thé percée d’un trou ? N’y a-t-il pas de la magie dans la façon de faire ? Et pour filer le contresens assumé, la femme-artiste n’est-elle pas nécessairement sorcière ? Surtout si elle décide, en dehors de toute médiation masculine, de mettre en scène son propre corps nu. Devant un corps sinueux comme un serpent qui s’élève au-dessus de nous, avec la perspective arrondie caractéristique du sténopé qui plonge les coins de sa chambre dans une pénombre évocatrice, on se sent comme au fond de sa marmite à potion qu’elle scrute et s’apprête à remuer du bout de son balai volant-baguette magique-cuillère en bois.

« Anti-poussière pas sorcière », Judith le dit et nous devons la croire, ce balai n’est pas un balai de sorcière, n’est pas un sceptre de reine, n’est pas une colonne du temple. C’est un bête balai, un pauvre outil prosaïque pour dépoussiérer les sols, moins efficacement qu’un vrombissant aspirateur, tellement moins magique que ces nouveaux aspirateurs automatiques : ne perdez plus de temps à nettoyer vos sols : l'aspirateur Roomba dans l’air 1600 le fait pour vous ! La poussière, ennemie ancestrale des femmes au foyer et des photographes, est la double ennemie de la femme photographe qu’est Judith, qui choisit de se mettre en scène en femme d’intérieur (le reste de son travail de reportage dans les rues de Massy, nous montre que c’est une mise en scène et que si elle est cela, elle est bien plus que cela...)

« Anti-poussière, pas sorcière », le titre est donc humoristique, ironique. C’est une caractéristique récurrente des autoportraits nus féminins, une caractéristique irritante pour certains amateurs d’art et de corps, comme Edgar Morin en éditorial d’un magazine Photo spécial autoportraits nus féminins qui préfère un autoportrait nu « humble », « sérieux », voire « tragique ». Mais Judith n’a que faire de l'humilité, et réserve son sérieux, sa capacité d’exprimer le tragique, par exemple la tragédie sociale d’une « Allée de Bagdad » jonchée d’ordures, avec des barres de béton à perte de vue en arrière-plan. Pour l’autoportrait nu, espace de liberté artistique, la pirouette est permise. Par exemple Judith se représente comme prête à passer un petit coup de balai, mais vêtue d’un simple slip noir et surtout, de chaussures à talon qui à la fois gainent et dévoilent la jambe et font d’elle une troublante « sténo-pin-up ». De même, la pose, assise, les jambes écartées, la main en appui sur la cuisse, pourrait être vulgaire et ne l’est pas par la magie de sa boîte à photo, qui floute, déforme, adoucit les contours et exagère les ombres, et transforme ces jambes en M, en zig-zag d’éclair, en courbe croissante puis décroissante qui enchante…

« Anti-poussière » pas sorcière, d’accord. Le balai n’est pas un balai volant, d’accord. Judith Baudinet n’est pas Hermione Granger, d’accord. Nous, spectateurs, ne sommes pas non plus un crapaud barbotant dans un chaudron. Mais comment évacuer si facilement la magie du procédé ? Une femme qui attrape des images dans une boîte n’est-elle pas nécessairement magicienne ?

(Juliette Meliah*, juillet 2009)


*« The female photographic nude, between art and non-art. A study of the conventions in the works of Mapplethorpe, Arbus and Woodman, and their artistic status », soutenu en septembre 2002, sous la direction de Claire Joubert, un mémoire de Master 2 (Paris-8, Saint -Denis) que rédige actuellement Juliette, qui, photographe, a participé par ailleurs à plusieurs étapes de Foto Povera...

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