vendredi 21 novembre 2008

« Pour une image précaire (Du Polaroid SX-70 à la photophonie) : entretien entre Bruno Debon, Marc Donnadieu, Bernard Plossu et Yannick Vigouroux)



Photos Bruno Debon, « 1er fév. 2006 » /
Marc Donnadieu, « Curtain (Le Havre) # 1a » (Photophonie)






A l’origine de cet entretien, il y eut cette discussion téléphonique, dans la soirée du 22 août 2008, avec Marc Donnadieu, dont voici un extrait griffonné alors à la hâte (tant la teneur de ses paroles devaient, selon moi, être sauvegardées) :

« Marc Donnadieu : […] Dans son travail, Marc Trivier tente de se situer au plus précaire des choses ; les photos de Trivier me font ainsi penser à l’écriture de Samuel Beckett. D’autres, comme Bernard Plossu, utilisent la précarité de certains appareils photographiques : l’utilisation de l’appareil-jouet, dans ce qu’il apporte de contrainte, lui permet ainsi d’exprimer quelque chose d’autre, de différent, sans que l’image qui en résulte en soit forcément précaire pour autant.Parfois, je pense que je fais les deux : j’utilise des appareils précaires pour faire ressortir la précarité des images. »

J’ai donc proposé à Marc Donnadieu de poursuivre la discussion à trois, puis à quatre... J’ai interrogé Bernard Plossu, et d’autres artistes, dont les contributions viendront, peut-être, par la suite, étoffer les lignes qui suivent. Prenons le temps que nécessite la réflexion. Pour certains, comme la prise de vue, elle est spontanée, immédiate ; pour d’autres, elle nécessite un temps plus long de maturation, comme leurs image parfois, mais pas forcément…

En effet, pour revenir à l’impulsion de départ, à l’origine de cette discussion, comme moi et Bruno Debon, Marc Donnadieu a beaucoup pratiqué le Polaroid, avant de se tourner, plus récemment, vers la photo au téléphone mobile (la « photophonie », comme on la nomme désormais)… (Voie que, pour ma part, j’ai fini par abandonner au profit de la pratique du sténopé numérique).





Yannick Vigouroux : Peux-tu développer ces notions abordées lors de cet échange téléphonique, en particulier celle de “ précarité ” ?...

Marc Donnadieu : Ce que je voulais dire, c’est que, comme à chaque fois, je me méfie des lectures qui se situent uniquement au niveau de la technique et de l’outil. Dans cette idée de la “ Foto Povera ”, pour moi, ce n’est pas la précarité ou la “ povérité ” pauvreté de l’appareil-photo qui fait la précarité ou la “ poverité ” de l’image.

YV : Mais l’utilisation volontaire ou accidentelle d’un boîtier sommaire n’encourage-t-il pas parfois à adopter une autre posture face au monde, à l’idée que l’on se fait d’une image ? Je suis toutefois conscient, et je rejoins ici entièrement ton point de vue, que l’on peut faire des images très “ précaires ” avec un Leica doté d’une très bonne optique, “ piquée ” comme l’on dit dans le jargon des photographes… Questions dont je me suis entretenu ces derniers mois avec différents artistes, comme Laurent Chardon ou Antoine Zajac, et d’autres…

MD : D’un côté, nous avons des photographes comme Bernard Plossu qui, au-delà de leur appareil-photo habituel, utilisent d’autres types d’appareils-photo, le plus souvent des appareils-photo très simples et très ordinaires – sommaire comme tu le dis –, comme pour mettre en danger leur façon de faire des images. Il y a, bien sûr, chez Bernard Plossu, la nécessité de l’urgence : face à l’absence d’appareil-photo et la fatalité de prendre une image, on achète le premier jetable venu. Mais il y a aussi, au plus profond, cette idée de se mettre en danger, et d’apprendre de par cette mise en danger, à l’instar d’une course d’obstacles.

YV : Qu’en penses-tu Bernard ?

BP : en fait, je continue a préférer l'appellation espagnole de “ camera juguete ” que “ Foto Povera ” !
C'est amusant et créatif , tout ça ! … et cette terminologie espagnole de “ camera-jouet ” me plait vachement ! ”...

Yannick, t ' ai- je déjà dit comment j'ai commencé avec les Agfamatics ?
C'est Jean-Jacques Deutsh, alors redacteur-en-chef de Le nouveau photo-cinéma qui m'avait offert en 1970 un Agfamatic- sensor...





Photo Bernard Plossu, « Paris, 1970 » (Agfamatic)






MD : Chez Bernard Plossu, en effet, on a l’usage d’un appareil-photo pauvre, ces “ camera-juguetes ” qu’il affectionne. Et cela, non pas pour faire une photo pauvre, mais pour se laisser surprendre par cet appareil-photo pauvre. C’est comme un déplacement dans un ailleurs, dans l’étrangeté des choses, comme s’il fallait se positionner à un moment donné dans une altérité vis-à-vis de son propre travail à travers un déplacement de l’outil, des habitudes, du savoir-faire, etc.

YV : Et chez d’autres auteurs, tels que Marc Trivier ?...

Si je pose cette question, c’est parce que, tout comme Bruno Debon (nous étions tous les deux étudiants à l’ENSP d’Arles), j’ai commencé, sous son influence, au début des années 1990, à faire des photos à la box [la publicité de la box d’origine, conçue en 1888 par l’Américain George Eastman, proposait pour la première fois une logique manufacturée, annonciatrice d’une industrie de la photo : « Just Shot, We Do the Rest ! » et, en effet, une fois le film exposé, l’on était encouragé à l’envoyer à l’usine de Rochester, d’où l’on vous expédiait les négatifs et les tirages accompagnés de votre boîte chargée d’un nouveau film vierge…] de faire des photos, après avoir découvert son travail, si littéraire et atypique.

Pour moi et pour Bruno, ce premier véritable appareil amateur de l’histoire de la photographie doté d’une simple lentille, qui est en fait un sténopé miniature à peine amélioré (d’ailleurs, chez Oscura, l’on s’amuse volontiers à enlever la lentille pour pourvoir faire du sténopé sur rouleau, m’a confié Jean-Michel Galley), qui annonce en tout cas une première “ démocratisation ” de la photo dans le geste, et une première (bien que très relative !) démocratisation d’un point de vue financier bien sûr… Utiliser une box a été est reste pour moi expérience originelle, sinon originaire… Je photographie avec un regard débarrassé du poids des conventions issues des utopies technicistes de la modernité bourgeoise… J’aime mettre à mal ces utopies.

MD : Pour d’autres photographes que Bernard Plossu, comme Marc Trivier, de mon point de vue en tout cas, l’image est dans un état de précarité, de pauvreté, de “ povérité ” qui ne vient pas de l’appareil, bien au contraire. Il s’agit de faire renaître l’image comme au premier matin du monde, à partir d’un degré zéro qui ouvre sur une épiphanie, une condensation entre, d’un côté, toute l’expérience de la vie et du monde, et de l’autre, l’innocence d’un premier regard – ou d’un regard premier – sur le monde, comme pouvaient l’être à la fois ceux de Saint François d’Assise et de Saint Jérôme, sainte Thérèse d’Avilla et de Saint Augustin.
Autrement dit : comment croire encore au monde à l’intérieur même d’une extrême lucidité du monde. En cela, je rapprocherais l’écriture de Trivier de celle de Beckett ou de Jacottet. Pour construire cela, il faut parfois des outils extrêmement sophistiqués et un travail incommensurable. D’autres encore conjuguent les deux, comme Corinne Mercadier par exemple.




Photo Bruno Debon, « Fév. 2008 » (Photophonie)






YV : Marc, Bruno, pouvez-vous me parler du passage du Polaroid SX-70 au téléphone mobile permettant de prendre des photos ? Il me semble qu’il y a plus d’un lien… notamment l’apparition immédiate d l’image, et peut-être des relations plus inattendues ?

MD : Au départ, j’ai utilisé des appareils-photo Polaroid pour trois raisons. Tout d’abord pour un rapport au temps : avec eux on peut capturer un bloc de temps dans l’image, et quelque fois un bloc de temps articulé à un bloc d’espace, et/ou inversement. Ce qui donne naissance à un passage inscrit dans l’image, une durée autant qu’une traversée. Ensuite pour un rapport à la couleur. Quand on utilise le Polaroid dans ses marges, on n’obtient plus les couleurs réelles, les couleurs des murs ou des objets par exemple, mais la couleur de la source de lumière qui éclaire la scène, et plus précisément la couleur associée à a température de la source de lumière qui éclaire la scène. On obtient ainsi un faux monochrome, une couleur climatique, atmosphérique, dominante, qui vient “ surcharger ”, “ oblitérer ”, les couleurs existantes réelles. Elle ne les annule pas, elle ne les fait pas disparaître mais les baigne dans un autre état, proche de l’aube ou du crépuscule. Là encore, on est dans un bloc, une épaisseur, une densité. Enfin, à partir de là, on se rend compte que l’appareil peut fonctionner comme une gomme qui efface ce que l’on veut, ou comme un pinceau d’aquarelle qui souligne ce que l’on veut.

YV : C’est ce que recherche aussi, me semble-t-il, Corinne Mercadier, qui opère par dépouillement progressif (un tirage en couleur est reproduit à l’aide d’un appareil Polaroid, image qui est elle-même agrandie) des couleurs et de la matière pour obtenir au final une image quasi monochromatique, sans profondeur, dans lesquelles l’espace comme le temps semblent suspendus…

MD : Et c’est ce que j’ai retrouvé plus tard grâce au téléphone mobile. L’autre point commun, c’est que, dans les deux cas, on voit l’image immédiatement. C’est le paradoxe de ces images, elles sont rapides et immédiates alors même que qu’elles capturent des durées paradoxales, très longues ou hors du temps, de la présence, presque de l’aura ou des fantômes.

YV : J’éprouve le sentiment face à certains sténopés réalisés par Felten-Massinger, Guillaume Palat, le collectif Oscura : l’image, du fait du long temps de pose, ressemble à une lente coulée d’espace-temps.

Si je me souviens bien, à l’occasion de l’exposition Foto Povera 3 au Centre Photographique d’Ile-de-France (Pontault-Combault) en 2005, tu avais déclaré, lors d’une table ronde, que tu voulais enregistrer “ la chaleur ” du monde, et que, d’une certaine manière, c’était celle-ci qui produisait la photo ?...




Photo Marc Donnadieu,
« Halo bleu #4 Christian (série pour CB) »
(Photophonie)





Cela me conduit à la problématique de la notion d’ « auteur », qui suscita nombre de débats durant le XXe siècle en particulier, en littérature… En photo (dans le cinéma aussi bien sûr), la question se pose depuis les origines puisque celle-ci est considérée comme un “ art mécanique ” de reproduction, d’ailleurs la notion d’ “ art ” ne pèse pas du tout dans la balance au départ, puisque le souci de Nicéphore Nièpce était avant tout de réaliser les meilleures reproductions possibles d’œuvres d’art à l’aide du bitume de Judée, chimiquement, et d’une camera obscura, physiquement.

Or l’activité actuelle d’un collectif tel qu’Oscura, pose à nouveau cette question de manière frontale, pour d’autres raisons : est-ce le photographe membre du collectif qui a fait la photo, au Mali par exemple, l’enfant ou l’adulte de ce pays qui, aidé, conseillé par lui réalise son autoportrait, voire la boîte de conserve ou de Coca-Cola percée d’un trou d’épingle ? Tous sont-ils auteurs, y compris la boîte, et se partagent la paternité de la photo ?

MD : Je ne vois pas vraiment à quoi tu fais référence à travers cette notion “ d’auteur ”, mais il est vrai que pour moi, à l’intérieur de ma pratique propre, l’appareil-photo d’une certaine manière fait la photo, il est tout autant l’auteur de l’image que moi, presque le co-auteur. Mais jamais l’outil fait pas regard !

YV : Certes “ l’outil ne fait pas le regard ”, tu as raison, mais parfois, et souvent, “ l’outil encourage à initier, produire un certain regard ”… Ainsi, Bernard Plossu aime dire que…

Bruno Debon : Tu sais, Yannick, la question des appareils me laissait sec… En revanche, étant sur le point d’attaquer un magnifique plateau de fruits de mer plus colorés et brillants que les yeux de la serveuse, je passais en revue coquillages et crustacés et les odeurs marines, et le paysage nacré de la grève faisait naître en moi une envie de boire une première gorgée de chablis. Putain ! m’écriai-je en soliloque, la serveuse a oublié les outils.

Et là, c’est revenu, le SX-70, j’avais tant désiré l’utiliser, après avoir vu Alice dans les villes de Wim Wenders (1974). La Normande est arrivée, souriante, et plus jolie qu’avant, me présentant ses mains remplies d’outils. Ils sont indispensables et chacun d’eux possède sa fonction spécifique. Pour moi, le SX-70 m’est apparu comme un jouet, d’ailleurs j’en ai cassé au moins trois. C’est vrai aussi que j’ai cassé trois Rolleiflex et au moins autant de photophones… Les bonnes vieilles box sont indestructibles, je me rappelle même avoir réparé l’une de celles de Yannick.

Marc Donnadieu fait à juste titre un parallèle avec le travail de l’écrivain, ses crayons et ses stylos et, comme lui, je pense je pense que l’outil peut relever le trait, gros ou fin, gras ou diffus. Allez donc décortiquer une araignée [de mer] bien pleine avec un cure-dent !

Plus loin, dans la discussion, Yannick, tu parles de ces instants photographiques à la box comme des « lâcher-prise », comme si tu reconnaissais à la lumière, au monde, une possible paternité ou maternité photographique. La simplicité ultime de ces outils initieraient-elles une sorte d’osmose, une pression créative active ? Marc, parlant de sa pratique propre, avance même l’idée de l’appareil-photo comme « co-auteur »…




Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 977, Luc-sur-Mer, Normandie, 2 sept. 2008 »
(sténopé numérique)






YV : Je suis entièrement d’accord avec Marc. Le soleil, et sa lumière originelle et originaire, source de vie, des êtres et des choses, captées, souvent déformées par les camera lucida et camera obscura connues depuis l’Antiquité, puisqu’Aristote en connaissait les principes, est l’Auteur principal avec les différentes boîtes « primitives » d’enregistrement que j’utilise. C’est donc même plus qu’un co-auteur. Je crois qu’il faut revenir, dans un contexte où les artistes, plus que jamais, en tout cas ceux qui « réussissent », et sont sur-subventionnés selon moi, ont un ego hypertrophié et se prennent pour des “ Dieux vivants ”, encouragés il est vrai en France par des scribouillards qui jouent aux critiques d’arts alors que ce ne sont que des journalistes qui font rapidement et mal leur métier : des copier-coller à peine modifié des textes des dossiers de presse. Pour paraphraser le titre d’un recueil d’articles de Jean Dubuffet, je me considère comme un « homme du commun à l’ouvrage », avant tout. Et cet « homme du commun », visant approximativement avec sa box, a souvent le sentiment que c’est la lumière et le sujet qui lui dicte l’image. Et je répond alors parfois, mon attachante box rudimentaire dans les mains, avec une lenteur qui n’est toutefois pas dépourvue d’excitation, à cette douce injonction…

Bruno, j’aime bien la métaphore que tu files entre les instruments spécifiques et indispensables que nécessite le décorticage d’un crabe, des coquillages, et l’usage d’appareils « primitifs »… Primitifs, oui, ils le sont ces instruments, mais, et peut-être pour cette raison justement, indispensables, pour nous en tout cas ?

Et puis, dans Le Parti Pris des choses (1942), Francis Ponge écrit à propos de L’huître : “ vivants Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner. ”
Je pense forcément à ces lignes en te lisant !...

Mais revenons au rapport si fort, dont les photos de Daniel Challe, Rémi Guerrin, Corinne Mercadier, Bernard Plossu et Nancy Rexroth, pour ne citer qu’eux, témoignent, dans la nébuleuse de Foto Povera…

BD : Cela ferait presque sourire, Bruno sur la page jouant avec sa boîte comme avec un cerf-volant, et le cerf-volant jouant avec lui. Derrière une telle évocation, nous pourrions douter de notre sérieux. Et pourtant, je rigole toujours autant devant « L’Elevage de poussière » de Duchamp photographié par Man Ray. Une assemblée d’une estouffade de fadas dadas et révoltés.

YV : Toujours le langage gastronomique !… et les idiosyncrasies, la faconde du sud de la France. Puisque tu aimes évoquer la Normandie où je suis né, tu le sais, je songe moi, face à cette photo à des moutons, ceux de poussière, mais aussi les ovidésprésalés de la Baie du Mont-Saint-Michel, et, surtout, les vagues moutonnantes de la Manche que j’ai tant photographié et photographie encore dans ma série « Littoralités »…

BD : Aujourd’hui, pour répondre à ta question subsidiaire à propos de mes dernières images prises au téléphone mobile m’a conduit à ouvrir à nouveau l’un des livres de Jean-Philippe Reverdot, intitulé L’Epreuve (éd. Marval, 1998) qui commence par une citation de Samuel Beckett : « en face le pire jusqu’à ce qu’il fasse rire. »

Et moi, je m’embrouille avec ces pinces et pics métalliques, et le jus d’un oursin qui orne un peu plus ma chemise d’une médaille douteuse. Je regarde autour de moi. La serveuse se dédouble dans la baie et se gratte une épaule. Cette huître sauvage quelques heures plus tôt repoussait la vase qu’elle filtra sans cesse, jusqu’à ce qu’on la mange.

La question du photophone m’intéresserait tout autant, mais là, je résume ce que je ressens, pas le temps, pas envie de sortir l’ « artillerie », d’ailleurs quand tu roules en tracteur dans tes vignes quel appareil sortir que ce téléphone qui vibre ? « Allo, Yannick ? Broum Broum je ne peux pas te parler alors je t’envoie trois photos et une phrase que j’ai trouvée sur le net, extraite d’un poème de Jaccottet (Merci Marc) :

« trouver le langage qui traduise avec
une force souveraine la persistance d’une
Possibilité dans l’impossible, d’une fidélité
alors que toutes les apparences disent
qu’il n’est plus maître à qui garder sa foi. »

YV : Oui, cela ressemble beaucoup à la plupart de nos échanges téléphoniques ! On parle indifféremment de photo, de Foto Povera, de cinéma et de littérature, de vin et de cuisine, que du reste… Les viticulteurs sont des alchimistes, comme l’était, mais l’est de moins en moins, le photographe développant et tirant ses photos dans sa chambre noire. Désormais le scanner numérique ronronne de plus en plus, ce n’est pas le même bruit que ton tracteur, mais cela m’y fait penser. Il est hors de question d’évoquer ici nos racines paysannes et ouvrières – Raymond Depardon pleurnichant comme d’habitude sur Canal + m’en dissuade !..., qui oublie d’évoquer les subventions que l’Etat et d’autres financeurs publics ou privés lui accordent largement. La solitude du photographe enfermé dans son viseur, cela n’existe pas ; au contraire, la photo doit nous libérer de ce sentiment d’isolement non ?... Tarte à la crème contre tarte à la crème, je préfère mon lieu commun à celui de Depardon.

Etre vigneron et photographe ; ouvrier du bâtiment et photographe comme je l’ai été ; maçon et photographe (Marc Trivier etc.)… pourquoi pas ?

Puisque, de ce métier, l’on peut de moins en moins en vivre, commercialement (publicité ; mode ; reportages…) et artistiquement (peu d’élus dans les galeries parisiennes, c’est d’ailleurs peut-être pourquoi j’ai d’abord exposé à Barcelone, puis plus récemment à Atlanta, aux États-Unis…) – comment ne pas exercer un métier parallèle alimentaire et tout aussi « noble », quel qu’il soit ?...

Comme je l’ai écrit récemment à un galeriste chez qui j’aurais peut-être le bonheur d’exposer bientôt avec une jeune artiste très talentueuse (Julie Vola) :
« […] mon appartement à Paris n’est qu’un deux pièces, peu de place donc ; certains de mes amis photographes optent pour des formats grands et difficiles à stocker et transporter, au point, parfois, qu’ils ratent des opportunités intéressantes d’exposer parce que le transport est trop coûteux, compliqué, etc. Leur rêve, qu’ils concrétisent souvent [hélas ou tant mieux ?], est de posséder un atelier de 100 à 200 m²… ; moi je me considère comme un « homme du commun à l’ouvrage » ; je ne suis pas différent parce que je suis « artiste », c’est un mythe et une posture qui m’inspire une grande suspicion ! C’est l’un de mes credos fotopoveresques…

Pour « jouer un rôle dans la cité », l’artiste doit se fondre avec ses semblables plutôt que de s’en distinguer, de s’en singulariser ; ce qui compte, ce sont ses productions, pas son mode de vie, ou peut-être si, justement : quelqu’un qui se réclame de la Foto Povera devrait se reconnaître dans l’« Homme du commun à l’ouvrage », selon moi…] »

Mais, après cette digression, Bruno, revenons à l’influence de Philippe Reverdot…
L’opacité de te dernières photos faites au téléphone mobile, où le sujet semble hésiter entre l’apparition et la disparition, la transparence et l’obscurité, n’est-elle pas une réminiscence des tirages argentiques de Philippe Reverdot, dont tu as évoqué un livre dans cet entretien ?

BD : Reverdot, c’est bien, et les zones sombres de Meatyard, et les Polaland de Frank aussi… Depuis dix ans, je griffe la terre, les vignes sont parfois malades mais à chaque fois donnent de beaux fruits.

YV : Continuons donc à griffer le réel, inscrire de mots derrière les images, voire, comme l’a fait Robert Frank, dans ses Polaroids, à inscrire cela dans la gélatine ; à ne croire en aucune vérité univoque. Merci à toi, Marc et Bernard pour cet échange.

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